178km, il reste 178km à couvrir, après un échauffement de 105km. Des chiffres qui s’entrechoquent dans mon cerveau et interpellent. Suis-je réellement sain d’esprit ? N’ai-je pas tout bonnement surestimé mes capacités physiques et morales en m’inscrivant sur ce parcours ? Aurais-je les ressources pour finir et si oui, quelles conséquences dans les semaines à venir ?
La prise de conscience est brutale mais le doute n’est pas permit. La ligne d’arrivée est acquise à condition d’abandonner l’ivresse de la vitesse et de basculer dans le mode mois grisant de la gestion d’effort. Car si le physique est nécessaire, mes diverses rando au long cours m’auront appris que le mental et la réflexion le sont tout autant. Car si le lièvre gagnera toujours le 100mètre, la tortue gagne à coup sûr la course de la longévité.

Comme souvent en Ardèche, les cols ne sont pas très difficile et régulier. La Barricaude ne déroge pas à la règle mais il est long…très long…
L’éloge de la lenteur ? Pas cette fois car les barrières horaires sont toujours bien présentes dans mon esprit. Il s’agit donc plutôt de ralentir pour être capable de tenir le rythme jusqu’à la fin. Je premier juge de paix de l’AVM/Ardéchoise sera la barrière du Mont Gerbier de Jonc. 13h30, toutes minutes supplémentaire entraînant la bifurcation sur le parcours Ardéchoise. Passé au Burzet à 11h26, je réalise une montée correcte qui, malgré un arrêt au ravito de Sagne-et-Goudoulet, me permets d’arriver au pieds du Gerbier dans les temps. Pas de soucis pour cette première barrière horaire donc, je peux continuer sur la boucle des Sucs.

Le Mont Gerbier de Jonc, le juge de paix. Avant 13’30 tu passe, après tu coupe ! Ce sera bon pour cette fois 🙂
Satisfaction qui sera de courte durée puisque le vent du Nord, généralement fort sur les hauts plateaux Ardéchois a décidé de freiner notre progression. J’écrase les pédales, gardant toujours un œil sur les paysages sauvages qui semblent soudain si hostile. Car avec un tel vent, finir un parcours de l’AVM seul semble impossible.
Mais heureusement, en cyclisme, les coups du sorts peuvent aller en quelques minutes seulement dans un sens comme dans un autre. Et ma chance aujourd’hui sera d’être repris par le Club de Tassin, quatres maillots jaunes, deux gros moteurs, qui effectueront un travail impressionnant face au vent. A plus de 30km/h sur la route des Estables, bien protégé dans les roues, je dois m’accrocher pour ne pas perdre la roue de celui qui me précède. J’en bave, je tire la langue mais je tiens car je sais que rouler à nouveau seul sera encore plus difficile. Nous sommes d’ailleurs deux à avoir fais le même constat, puisqu’un sixième compagnon est venu se greffer au groupe.

Le plateau des Estables, où le vent à décider de jouer contre nous !
Les Estables, nous ne sommes plus en Ardèche mais en Haute-Loire. Il m’arrive parfois de me demander si ce lieu me serait connu si je ne pratiquais pas le cyclisme. Un lieu reculé où la nature semble encore avoir tout ces droits, nous ne sommes pourtant qu’à quelques encablures de la vallée du Rhône et de ses autoroutes. Et si le col de la Croix des Boutières (1506m) n’est pas le plus beau, le sommet débouche sur une des plus belles vues qu’il m’a été permis de voir. Le Cirques des Boutières vaut en effet à lui seul le déplacement et peu importe qu’il faille s’accrocher ou non, le spectacle offert vaut toutes les récompenses. Paysages verdoyant, Sucs ondulant, Routes serpentant le long des reliefs, un paradis.

Les Boutières, entre Mont Gerbier de Jonc et Mézenc
Te concentrer Damien! Perdu dans la contemplation et peu à l’aise dans l’exercice, je vois les gens de Tassin filer devant moi dans la descente. Prise de risques calculées pour limiter les dégâts, il me faudra un gros effort pour recoller….bien aider par le vent qui a désormais faibli.

Juste Magique !
Nous avalons la route touristique sous le Mont Mézenc à un rythme régulier… les gros moteurs semblent enfin calmés mais je remarque que ce n’est que parce que l’un des Tassilunois commence à faiblir. Une chance, et bien que la vitesse soit toujours soutenue, j’ai enfin l’impression de ne plus totalement subir. Ceci me permets de m’alimenter, toujours sur le vélo car le ravito du Viallard est squizzé. Je m’adapte.
Le Sucs d’Ardèche disparaissent peu à peu sur notre droite, tandis que nous nous enfilons dans la longue descente de St Clément. La route est étroite, technique, sinueuse. Toutes les qualités qui devraient ravir les amateurs de frissons. Une belle descente dont je profite pleinement comme l’ensemble du groupe.

La longue descente de Saint Clément, technique !

La plus belle descente de l’AVM et l’une des plus belles que j’ai pu faire !
Mais voilà que nous arrivons déjà à Lachapelle-sous-Chanéac qui marque l’entame de la troisième et dernière (sur le papier) difficulté de la journée, le bien nommé col de l’Ardéchoise (1184m). Rien de bien important à signaler dans cette montée si ce n’est un temps de passage de 7h et 1minute à Chanéac, 180ième kilomètres. Bien que la moyenne est bien baissée, je suis toujours à 25.6km/h de moyenne ce qui sur une rando classique aurait été très bien sur une rando classique.

C’est dur à Chanéac mais les supporters sont là
Mais là, nous tutoyons la longue distance ce qui veut dire qu’il nous reste encore environ 100km à couvrir! Heureusement le ravito de Borée est de nouveau au top et, après une édition 2013 qui nous avait proposé les toasts à la confiture de violette, nous avons droit cette année à un magnifique fromage frais et fondant! Hummmm! 🙂

Borée est son ravito me sauvera encore cette année !
La pause s’étire mais il va bien falloir penser à repartir. En tout cas ce n’est pas l’avis des gens de Tassin dont l’un des membres semble déjà relativement touché. Après plusieurs minutes d’hésitations je me laisse glisser doucement dans la descente vers Saint Martin de Valamas, espérant que le reste du groupe me rejoigne bien vite. Ce ne sera finalement pas le cas mais le 5ième homme du groupe prends la même décision que moi et reviens dans ma roue au profit de la descente.
Après avoir profiter longtemps des roues, nous n’avons désormais pas d’autre choix que de coopérer car nous désirons tout les deux arriver dans les délais même si aucun d’entre nous n’ose encore l’avouer. Les relais tourne, mais je suis trop juste pour les appuyer autant que mon compagnon. Certainement le contrecoup des premières heures trop rapides, mais je n’aime pas cette situation.
Saint Martin-de-Valamas, 210ième kilomètre. Il est 16h18, je suis à deux doigts de m’arrêter pour un nouveau ravito mais mon compagnon de route m’en dissuade. La barrière horaire de Saint Agrève se rapproche en effet et nous n’avons plus le luxe de perdre du temps dans des arrêts fréquents. Le premier précepte de Vélocio me trotte dans la tête : « Haltes rares et courtes, afin de ne pas laisser tomber la pression« . Facile à dire !

Usine à Saint Martin-de-Valamas
Est-ce la faute à une mauvaise alimentation ou au non respect du 6ième précepte qui est de « Ne jamais forcer, rester en dedans de ses moyens, surtout pendant les premières heures où l’on est tenté de se dépenser trop parce qu’on se sent plein de forces« , je suis à bout. La montée de Saint Agrève se fait au mental, mes yeux s’accroche dans la cassette de Jonathan qui semble maintenant me tirer par une force invisible. L’esprit se vide, les jambes s’engourdissent mais tour après tour le dénivelé s’efface….lentement….difficilement. Cela faisait longtemps que je n’avais plus connu cette sensation.
Le ravito de Saint Agrève pourtant tant espéré a été dévalisé. Je songe quelques minutes à abandonner. Tout ceux qui connaissent le vélo savent combien ce sport est un sport cérébral, et je suis avec le recul à peu près sûr que j’aurais mis pied à terre si nous n’avions pas été deux à ce moment là. Nous repartons finalement, une décision qui ne prit qu’une fraction de seconde, et qui paraissait pourtant si difficile quelques minutes plus tôt.
Une fois les cols de Clavière (1088m) et de Freydaparet (1115m) franchis, toujours dans le dur, nous entamons la descente en direction de Rochepaule. Je tente de me convaincre que la majorité des difficultés sont derrières nous et que ce qui reste n’est que formalité. La montée se fait cette fois de front et en discutant et se passe finalement relativement bien. Aurais-je enfin retrouvé mon second souffle ?

Lalouvesc, dernière étape de la journée… et une nouvelle fois un grand merci à tous les Ardéchois !
Oui probablement car la fin de parcours se passe parfaitement, le col de la Lalouvesc (1092m) est avalé. Il ne nous reste plus que la longue descente vers Saint Félicien pour mettre fin à cette longue journée de Plaisir, de galère aussi mais ne faut il pas nécessairement passer par ces phases pour avoir le sentiment d’avoir atteints ses limites et, récompense suprême, celui de les avoir dépassé ?