
Ce devait être initialement une Flèche. Un jeu qui se joue chaque année à Pâques, et qui consiste à rouler en équipe 24 heures durant sur un parcours de son choix et vers un lieu de rendez-vous situé en Provence… L’équipe devant comprendre 5 membres au maximum était constituée. Guillaume l’instigateur alias le Bon, Laurent des belles échappées alias le Truand et moi-même alias la Brute (pas très épaisse). Nicolas, le seul individu à peu près stable que le Far-West comptait avait, non sans avoir longuement analysé la trace, préféré passer son chemin…
Et comme le Bon, aussi distrait qu’il puisse être, avait « oublié » de nous inscrire, nous nous retrouvions le bec dans l’eau mais pas résigné pour autant. Cette trace, nous l’emprunterons tout de même mais à notre manière, dans un long ride débarrassé de toute vanité comme Vélocio jadis l’avait enseigné : « Ne jamais pédaler par amour-propre« , le 7-ième de ses commandements si inspirants.
L’atmosphère au départ était un peu inquiète. Un fort vent du Sud était annoncé et des averses pouvaient bien frapper le sud du département de l’Ardèche en fin de journée. Et bien que le parcours ait été judicieusement raccourci pour en tenir compte, il restait tout de même 230 kilomètres et près de 3600 mètres à couvrir jusqu’à Lagorce où une roulotte nous attendait. Car quitte à se la jouer gaucho, autant le faire à fond… Et cet habitat insolite devait prolonger l’ambiance d’une journée pas comme les autres…
Mais il nous faudrait avant de pouvoir laisser les montures se reposer un peu traverser une bonne partie d’un État nommé Ardèche… La pluie sur les talons, le vent dans la tronche. Les yeux plissés sur l’objectif éperonnant énergiquement la bête à moins de 20 kilomètres par heure. Car ce qui se jouait ici était notre salut. Nous devions atteindre Lagorce à 19heures pétante pour ne pas rester en rade sur le bas-côté.
Mais c’était sans compter sur le Rallye national du Bassin Annonéen qui par deux fois nous barra la route. Se jeter au milieu des chevaux lancés vrombissants dans une pampa couverte de fleurs jaunes et violettes (des tulipes !?), ou bien replacer tranquillement le flingue au fond de l’étui pour s’en retourner fiers comme si de rien n’était ? Le Bon avisa et Brute et Truand lui emboîtèrent le pas… Contournant Vaudevant par son flanc gauche… Filant d’un grand trot contrecarré de bourrasques vers Arlebosc puis Boucieu-le-Roi…

Le village de caractère surplombait une vallée sombre où s’écoulait le Doux. A sa vue, le Bon proposa une pause pour combler le creux qui commençait à le tirailler. Le Truand rentra le premier sous la tonnelle. Et bien que le service fut officiellement fermé, le patron de l’établissement céda sans opposer une forte résistance… Et ce n’est qu’une fois les commandes prises en tablier face à nous que nous constations effarés qu’il s’en retournait en cuisine à moitié défroqué… Le Truand pouvait se montrer convainquant !!!
Et tandis que nous avalions nos américains et nos frites à grandes lampées de Perrier, nous réfléchissions à la profonde philosophie des minions…
Le vent qui balayait les crêtes n’avait pourtant pas faibli. Mais cette pause bien méritée avait clos une introduction un peu bancale pour lancer ce qui constituerait bientôt le début d’une formidable aventure. Déjà parce que les paysages avaient progressivement changés, perdant leur rudesse granitique pour le vert éclatant d’un printemps plus avancé. Aussi parce que nous roulions désormais des routes empruntées lors de mon premier périple en cyclocamping. C’était en 2013. Et chaque virage, chaque vue restait gravée en ma mémoire !!!
L’équipée d’abord hésitante devenait une échappée formidable. Sur ces routes étroites qui croisait Gilhoc-sur-Ormèze ou encore la Fontbonne. Partout le vent hurlait « Vous ne passerez pas !!!« Et nous passions, la Brute souvent devant car ignorant le vent. Le Truand dans la roue puisque toujours dans les bons coups. Le Bon lui commençait à accuser une trêve hivernale certainement un peu trop assidue… Vernoux-en-Vivarais dépassé, nous plongions maintenant dans la longue et belle descente qui conduit à Dunières-sur-Eyrieux… Une route en balcon, des points de vues superbes sur une Dunière qui ondulait au fond des gorges… L’aventure cycliste est un spectacle, qui adoucie la Brute comme le Truand… La D265 recouverte de pollens ferait le reste. Enfonçant la fatigue un peu plus profondément au fond des tripes, accentuant la perception que nous nous faisions du pays et de ses éléments.

Privas, enfin ! Où le réconfort se trouvait à l’eau claire d’une fontaine. Très bientôt, le col du Benas serait à nous, 10 kilomètres faciles sur le papier mais terrible lorsque le vent use jusqu’à la corde le Joli-long-John porté sous le cuissard… Et tandis que la Brute et le Truand bravaient la pente, le Bon profitait épicurien de chaque arpent… Les 200 000 dollars-or dérobés et soit disant cachés quelque part en vallée de l’Ibie n’avaient semble-t-il que peu d’effets sur lui…
Le Bon, la Brute et le Truand avaient désormais hâte d’en finir. Car en prise aux affres du vent depuis le levé du jour, ils n’accueillaient la pluie qu’avec une retenue visible… Leur trois silhouettes fendant la nuit sur ces routes absolument désertes… 21heures passés, nos trois brigands pénètrent dans la salle bruyante de ce qu’ils perçurent d’abord comme un repère d’Hollandais…
« Dans la chaleur du froid, on sait qu’on aura
Tant de choses à se dire, plus besoin de tricher ni de se mentir
Abattre son jeu d’un coup
Tout perdre, tout gagner mais jouer c’est tout
Afin que l’on redevienne des indiens, des indiennes… »
Après un dîner consacré à refaire le monde, nous gagnâmes la roulotte où nous avions convenu de passer la nuit. Un habitat atypique, mais parfaitement adapté aux êtres sauvages que nous sommes devenus… Malmenés par l’orage qui d’une certaine manière ne nous fera aucunement regretter cette flèche avortée…

Il était près de 9 heures et nous prenions notre temps attablé devant un copieux déjeuné, le premier de l’année pour les gérants du lieux ! Bientôt, nos routes se sépareraient, Guillaume devant repartir au Nord pour un stage Pompier qu’il ne pouvait manquer. Laurent et moi poursuivrons notre route un peu plus au Sud-Est, par les magnifiques gorges de l’Ardèche puis, plus loin, par les contreforts toujours réjouissant du Géant de Provence…
L’orage était passé. Et s’il laissait derrière lui une humidité que le vent toujours fort aurait tôt fait de sécher, il semblait néanmoins que nous aurons une belle journée. Parsemée d’étincelles et de sections plus étouffées. Laurent grimpait avec aisance ces gorges de l’Ardèche que je découvrais pour la première fois. Des gorges pas si plates contrairement à ce que nous avions crû lire un peu rapidement sur le profil. Guillaume nous avait prévenu pourtant 😉 !

Et bien qu’il fut un peu difficile de mettre en route, la beauté des paysages rencontrés et cet air du Sud qui soufflait l’envie et la liberté nous firent peu à peu rentrer dans cet état particulier qui anime le voyageur curieux. Il n’y avait plus à penser. Il n’y avait plus à s’inquiéter de l’état du monde. Applications coupées et attention uniquement focalisée sur le moment, il se résumait dorénavant à ce qui nous entourait. Des villages beaux comme s’ils venaient de naître, des vignes dont le fruit ferait demain les meilleurs crûs, des routes finalement pas si mauvaises pour qui sait regarder droit devant lui… Seulement, nous évoluions d’un bon rythme vers cette via Rhôna que je n’aimais pas trop…

Car il faut bien avouer qu’elle est un peu ennuyeuse… Au gré de ces lignes droites à l’écart des villages et de la vie et de ses turpitudes… Mais elle reste un moyen « sécure » admettons-le de descendre rapidement cette vallée incroyablement circulée… Et nous roulerons ainsi, Laurent souvent derrière cachant mal son ennui… Les choses auraient sûrement été différentes si nous avions eu le vent pour nous aider comme Guillaume devait le vivre dans sa remontée… Prendre patience, tirer sa peine…
Voilà Pernes-les-Fontaines, la ville où est né Vélocio et but de ce périple à vélo. Mais avant d’aller saluer la statue du grand monsieur, nous allons nous autoriser une longue pause bien méritée tout contre le mur d’une boulangerie très sympathique… S’y ravitailler, d’une tarte au citron pour mon ami et d’une amandine gourmande pour ma part. Les pieds respirant en dehors de leurs chaussures. Nous étions un peu usé par la longueur des kilomètres parcourus mais restions confiant, car la suite promettait d’être belle. D’abord, parce que cette région du Vaucluse est exceptionnelle à bien des points de vues, ensuite parce que nous allions opérer un virage plus au Nord ce qui allait nous placer en bonne position dos au vent. Enfin parce que l’Amandine et la Tarte au Citron ferait bientôt leur œuvre !

La statue représente Paul de Vivie et se dresse à Pernes-les-Fontaines. A ses pieds alors même que nous étions hier encore à Saint Etienne – la ville du grand homme – nous reconnaissions son apport dans la voie d’un cyclisme sans sueur (quoique) ni complexe 😉 !
Et comme nous l’avions imaginé, la suite ne fut qu’une régalade dont nous nous sommes attachés à savourer chaque moment. Nous épargnant l’ascension du Géant (la route Nord était fermée, et, avouons-le, parce que nous n’avions pas les jambes pour le faire), que nous contournions par le Sud et par l’Est, par ce pays de dentelles milles fois empruntés à l’époque des Chilkoot et des Tour du Vaucluse…
Pernes, Mormoiron, Bedoin, Caromb, le Barroux, Suzette, Malaucène, Vaison-la-Romaine…. Toute l’essence du périple tenait dans ce secteur qui bien que court n’en était pas moins ardu. Laurent qui avait retrouver le plaisir et ses jambes de champion propulsait sans heurts un Chiru dont le titane à nu reflétait la lumière dorée et parfaite de cette fin de journée… Le sourire aux lèvres malgré les pentes toujours plus raides de ces raccourcis que j’adore…

Marchant dans les pas des Romains à Vaison-la-Romaine à l’heure où le soleil s’attarde une dernière fois dans le ciel. S’offrir un dernier morceau de bravoure par la petite route forestière qui rejoint Séguret et monte en cascade. Il était cette fois l’heure de revêtir sa parure de nuit et de filer, oreilles rangées, dans la roue furtive d’un compagnon décidément infatigable… Et c’est ainsi que nous ralliâmes Bollène, après deux étapes se jouant des contrastes comme des difficultés… Loin de nous désormais, Guillaume avait retrouvé sa Terre aimée de Valcivières. Et si nous aurions souhaité partager l’étape du jour avec lui, nous savions que chacun de nous avait tout de même vécu un week-end Pascal inoubliable… Un moment que seules les aventures au long cours savent forger…

Et c’est forts de tout cela que nous rentrerons demain, par le train d’abord jusqu’à Saint Vallier puis par quelques routes sélectionnées pour l’occasion : la vallée de la Cance reconnaissable à la douceur de sa pente et à sa Roche Péréandre s’élevant haut au dessus des eaux, la longue montée depuis les portes du Soleil vers le col de la Croix de Chaubouret ensuite par la variante que je préfère. Celle-qui à un moment bifurque à gauche pour changer de versant. Celle-qui traverse sans que l’on s’y attende un petit village niché dans le pli d’une vallée.
Thélis-la-Combe, la perle discrète des Monts Pilat…
Guillaume, Laurent, Damien, l’équipée belle comme un œuf de Pâques…