#OnRaconteQu’UneVoieTraverseCesMontagnes …
Epilogue d’un si beau voyage…
Brive-la-Gaillarde >> Saint Etienne… (J5) …🌲😎👌
C’est dans des rêves bien agréables que je voguais lorsque la vibration du pire me rappela à lui… Le rythme du voyage, pourtant, l’exigeait. Emplir les journées, les étirer autant que possible. Reprendre le contrôle. Il fallait pour cela partir tôt. Et finir tard. Entre les deux ? Laissez les choses « devant se produire » se produire. Prendre le temps de les apprécier…
La journée commence par ce qui au fil des jours est devenu mon petit rituel. Eclairer puis, allongé sur le dos, réaliser quelques étirements. L’objet n’étant pas tellement de trouver un brin de mobilité mais bien de vérifier que toute cette fragile mécanique fonctionne encore suffisamment pour supporter le poids de mon corps lorsque je serai debout… Une douche chaude et les deux viennoiseries glissées hier prudemment au fond du sac. S’habiller, un choix de vêtement pas toujours évident. Puis passer au chargement… Un équilibre à trouver. Ranger chaque chose, à sa place et bien au sec. Une précaution qui aura son importance lorsque, plus loin, on se retrouvera, immanquablement, perdu et fatigué…
Tout ceci prend du temps. Presque 5h30, et je quitte cet hôtel toujours profondément endormi. Casque attaché au sac-à-dos, vélo sur l’épaule. Je dois pour m’échauffer descendre par les escaliers 3 étages, franchir 2 portes coupe feux armées de ressorts épouvantables… Tout cela en ne commettant aucuns bruits. Personne ne m’a vu rentrer. Et personne ne me verra sortir. D’ailleurs. Je n’ai jamais été là. Et il ne faut jamais croire ce qui est écrit…
Nous sommes à la fin du mois d’août. Et la nuit, sombre et humide. Voilà bien une leçon que je retiendrai de ce périple. Un voyage avec des étapes aussi longues est préférable un peu plus tôt dans la saison…
Critique la soupe, il faut les croûtons qui vont avec. Car j’aime aussi ces heures matinales où l’humanité a déserté les rues… Je traverse Brive. Personne. Sauf cette patrouille qui me considère, avec insistance… Je flippe. Ça sent fort le contrôle du mec chelou. Réfléchir. Et agir comme si je ne les avais pas vu. De toute façon, je n’ai rien à me reprocher. Mon éclairage est si ce n’est puissant, du moins homologué. Je porte mon gilet, et, sur mon cadre, sont un peu partout collés des stickers réfléchissant… Nous vivons dans un pays libre (du moins c’était vrai en 2020) et rien n’interdit aux gens de tous poils de faire un usage abscons parce que noctambule de leur bicyclette favorite. Brive endormie. Cette patrouille a refroidi mon envie de griller chaque feu rouge rencontré. Je ne suis pas très pressé finalement. De quitter la fausse sécurité qu’offre la ville et son éclairage publique…
Dans cette nuit sans lune ni étoiles, l’atmosphère me paraît bien oppressante. L’ombre des grands arbres encadrant la route, la présence perceptible d’imposantes montagnes. Ce pays reste sauvage et préservé. La nuit, elle, loin d’être silencieuse… C’est tout une vie qui s’anime ici, j’ai cru voir bouger ce fourré. Mon inquiétude me joue des tours, et c’est de cet arbre que semble venir un frémissement…. Etait-ce un écureuil ? Un volatile ou bien seulement le vent farceur… ? En contrebas, le murmure ronronnant d’un cours d’eau. Sans la clarté du jour, nous voici bien aveugles. Mais non privés de sens. Ceux-ci d’un coup s’aiguise. Je tends l’oreille, écoute ma peau. Au creux des paumes, le grain des routes. Je respire. Lâche prise pour enfin me laisser transporter. Distrait de mes peurs enfantines. Oui. J’aime rouler la nuit… Même seul.
Ménoire-le-Prehaut. Cela doit bien faire une bonne trentaine de kilomètres que je roule comme ça. Et obscurité décline doucement. La route n’a eu de cesse de s’élever depuis que je suis parti et j’évolue dorénavant à l’intérieur du plafond brumeux si commun aux matinées montagneuses. La fatigue et la faim rendent mille fois plus mordant la froidure de l’aube… De vastes campagnes, glaciales et isolées. Souvenir insupportable, m’y voici errant, un masque sur le nez. A croire que la maigre protection conférée présente au moins un avantage… Un automobiliste, roulant lentement en sens inverse. Derrière le pare-brise, me fait-il signe ? A moi qui, sous mon masque, et intérieurement. Souris…
Argentat-sur-Dordogne, l’extrémité sud de la faille d’Argentat, aux confins du Limousin de l’Auvergne et du Quercy. Cette dernière descente fut encore un vrai supplice…. Le corps tout entier transit, les doigts à moitié collés sur l’aluminium bien trop froid… Et puis je crève la dalle. Définitivement à la merci de cette voix intérieure qui s’époumone « Vas-y ! Mais laisses toi un peu aller. Jette l’éponge. A quoi cela sert-il te t’imposer cela. Sérieusement ? Tu t’en croyais vraiment capable ? »
Il est 8h. Et la vieille citadelle se révèle bribe par bribe, l’effet d’une brume étrange. Le quai Lestourgie, sur la Dordogne. De belles maisons aux toits sombres et parsemés de Lichens. Ce doux flottement lorsqu’au détour de la place du marché, j’aperçu ma délivrance. Cette chaleur douce et agréable qui à l’intérieur régnait. Cette boulangère charmante. Ma gueule décrépie. Ces sandwichs aux garnitures toutes plus appétissantes les unes que les autres… Jambon de pays (avec fromage évidemment), quiche aux lardons, une part de flanc et deux croissants. Le cycliste pourrait paraître bon client. Il est seulement affamé. Et redevable. Redevable envers ce petit commerce qui est tellement fondamental. Sans lui. Pas d’aventures de ce genre. Moins de Yo-Yo émotionnel… Moins de passions. Moins de rencontres. Demain le progrès fera des cubes robotisés ouverts 24/24, et tout le monde sera content. 8h16, je rumine, un peu perdu, dans l’irréelle lumière…

Un réveil bien difficile. Premières lueurs, Argentat-sur-Dordogne…
9h34. Me voici tout en haut d’une belle montée durant laquelle je me suis doucement ressaisi. Saint Julien-aux-Bois. Le ciel toujours très gris m’offre une petite ondée que je peine à ignorer…
9h54. La route s’élève encore. Et le ciel, brusquement, s’éclairci. L’occasion de s’offrir une courte pause. Un peu avant Pleaux…. Au milieu des pâturages, de belles vaches, faisant tinter harmonieusement les lourdes cloches attachées à leur cou. Des pièces d’orfèvrerie (savez-vous combien peuvent coûter ces cloches ?). Accordées et harmonieuses.

Perçues du coin de l’œil ou de l’oreille, toutes les choses informent, intriguent, mais surtout inspirent…
10h51. Me voici désormais en Pays de Salers. Toujours magnifique malgré un ciel de nouveau devenu incertain. Je me rappelle la première fois où j’y suis passé, c’était à l’occasion d’une Cyclo désormais oubliée, l’Antonin Magne. De l’emblématique nous étions descendus sur le versant ouest du Massif Cantalien. Mine de rien, quand même le plus vaste volcan d’Europe, avec 2700km² !!! Tout de même, ça en fait ça encore des circuits !!! Si le pédalage n’est plus tout à fait efficace, mes multiples arrêts me donnent au moins l’occasion d’observer ce miracle dressé à plus de 180° devant moi… Mais repartons, c’est une belle page qui nous attends…
11h32. Je trouve enfin la cité venue tout droit de l’époque féodale. Une ville si charmante où les terrains se vendent pourtant 5€ le mètre carré… Et pourtant. Quel cadre de vie privilégié. Je m’assois quelques minutes au milieu de la place des Tyssandier-d’Escous. Autour, de belles demeures probablement édifiées par de riches bourgeois ou magistrats. Sombres façades ornées de blasons, toits en poivrières, linteaux sculptés et fenêtres à meneaux… Tout ici transpire le solide et le rustique. La pierre volcanique et la lauze dissimule ce joyau niché au pied des montagnes. L’un des plus beaux villages de France qu’il m’a été donné de voir. Assurément. Je me faufile à pied, dans la rue du Château. Mes calent claquent sur les pavés et résonnent d’un mur épais à l’autre. S’imprégner de l’ambiance. Entre ces vieilles pierres, une boulangerie à l’enseigne austère et qui ne propose ni croissant, ni pain au chocolat, ni la moindre viennoiserie … Pas de salé, quiche ou pizza non plus. Chou blanc…
Au lieu de tout ça, la patronne me recommande la tarte à la myrtille. Mais insiste pour que je goûte la tarte à la tome fraîche du Cantal… Signature d’un pays. Ainsi tenté, je cède, et ne regretterais point. Ronde, de couleur d’or, franchement délicieuse. Le vélo, un prétexte formidable pour s’initier à la gastronomie fabuleuse de nos territoires…

Salers doit sa réputation aussi bien à son patrimoine médiéval qu’aux richesses de son terroir…
12h. Le voici, l’épouvantail de la journée. La difficile ascension du Puy Mary, par les cols de Neronne (1242m) puis du Pas de Peyrol (1589m) … Deux cols qui cette année feront arrivée d’un Tour de France que chaque année j’adore un peu plus… Mais qui, trait d’une curieuse année, se déroulera assez bizarrement en septembre… Tant mieux. Cela me donne encore plus de temps pour découvrir ses routes en vrai. Avant d’encore les apprécier davantage plus tard sur mon canapé, une bière à la main.
Le col de Neronne est pour une approche suffisamment facile pour y trouver mon deuxième souffle. Sur une route s’élevant régulièrement à même les flancs de la vallée, tel un balcon offrant juste ce qu’il faut de recul pour pouvoir pleinement apprécier le paysage volcanique de cette région préservée. Une région unique et ne ressemblant à aucune autre… Une région qui, à chaque fois, m’hérisse des poils de bonheur… Le spectacle est à couper le souffle… !

Le col de Neronne commence par une belle rampe, longue, douce et panoramique…
Le Puy Mary fût il y a fort-fort longtemps le plus grand Stratovolcan d’Europe… Un immense massif, formé entre 13 et 3 millions avant notre ère, une formation géologique immense, sensiblement conique et d’un diamètre de 70km. D’en haut ? Des flancs creusés de sept vallées glaciaires s’étalant en étoiles… Et dans l’une d’entre elle… Un vélo, minuscule, qui parfaitement silencieux avance… Et votre modeste serviteur. Qui après un gros passage à vide retrouve doucement le sourire… Heureux en ces lieux si magiques. Le plaisir absolu de la montagne. La simplicité totale d’un voyage à vélo. L’incertitude, et la liberté associée…
12h16. Le col de Neronne, altitude 1242m… Il passe ici ! Venez, on vous attend … !


La 13ème étape du TdF 2020, entre Châtel-Guyon et le Puy-Mary est une étape 100% volcans
12h57. Voici les trois derniers kilomètres du Pas de Peyrol, un final où dans quelques semaines, le trop-sage Roglic croira avoir garder la main sur un Pogacar débordant de panache et d’ambition … Trois kilomètres d’une rampe un peu folle… Arqué sur la machine, trois petits kilomètres où chaque mètre arraché à la montagne revêt le goût d’une petite victoire… Collé au bitume. De multiples inscriptions à l’intention des champions, et au milieu cinq lettres revendicatrice face à l’injustice : « DDEAV » pour « Donnons des Elles au Vélo ». Des filles fortes, un projet, une fraternité, un courage et des valeurs… Solène alias « Soso » la régionale, Claire, présidente et porte-parole, Karine qui après le Tour fera les 1000 du Sud… Sûr que les quelques kilomètres partagés en leur compagnie garderont une place à part dans mes nombreux souvenirs cyclo… Bref, des fois ce n’est pas que du vélo.

Coraline, Bettina, Nathalie, Valérie, Magali, Aline, Laura, Céline, Caroline, Karine, Sandra, Solène, Ofélie, Claire… Né en 2015, le projet est celui de filles qui défendent un Tour de France 100% féminin. Et aussi un peu plus. 3443kilomètres en trois semaines pour plus d’équité. Je ne peux que m’incliner. Et partager.
Pied-à-terre à la sortie de la dernière épingle. Je suis seul donc sans témoin. Et cette dernière ligne droite, c’est en poussant le vélo que je la ferai. Sans précipitation, l’œil avide de ces paysages magnifiés par la brume… Au sommet, les coureurs du Tour, eux, en auront fini. Tandis qu’il me restera encore un peu plus de 200 kilomètres à couvrir. L’avenir appartiendra à celles et ceux qui savent s’économiser…
13h09. Epuisé par l’effort d’une heure et demi d’ascension, vélo chargé, je me tiens enfin debout au sommet… Les doigts engourdis par cette brume humide, j’envoie un petit sms à mes parents qui leur arrivera déformé… « Pas de pétrole épique… » … Il leur aura bien fallu un instant de réflexion, mais ils auront compris…

Le pas de Peyrol restera le point culminant de ce voyage en direction de l’Océan.
Avec le froid et l’humidité qu’il règne ici, pas question de trainer. Je plonge dans la descente et celle-ci est terrible, dans cette soupe épaisse qui m’enveloppe et me cache les virages… Mains sur les freins, tout phares clignotants, je glisse tremblotant au pied du géant Cantalou. Priant intérieurement pour que cette météo quasi-automnale, ne soit que passagère …
…. Arrivé à Dienne, un modeste village fait de maisons serrées les unes contre les autres, je retrouve non sans plaisir un petit coin de ciel bleu… L’eau du bachat, parfaitement limpide, coule abondamment … Je ne m’en prive pas. Observant les détails imagés d’une plomberie certainement centenaire…
Après les routes oubliées du pays de Brive, ce passage en altitude était le deuxième acte d’une journée de vélo pas comme les autres… Pas le dernier cependant… Ce qui approche est une promesse… On l’appelle Cézallier, ces vastes plateaux qu’affectionne tant Romain. Romain qui nous a promis qu’un jour il nous emmènerait en faire le Tour… (voir le reportage photo du 16 cols à Lier)…
Laissant l’étang de Collanges et le lac Sauvage sur ma droite, j’emprunte la route étroite qui mène à Fortuniès. Bifurque ensuite à gauche, par la D31 qui m’offre soudain son panorama sublime sur le lac du Jolan… Un reflet du ciel dans la verdure joyeuse des terres immenses… Un espace de jeux infini pour le vent, qui d’une colline à l’autre, gonfle et enfle, bruisse et siffle, gronde et frappe … Ma joue droite rougie, je tends l’autre… Docile. Car ce voyage m’a fait entrevoir quelque chose d’important. Si le vent est bien souvent épuisant, il est aussi quelque part le meilleur ami du voyageur solitaire… En formidable pourvoyeur de son et d’ambiances… Virant de bord, j’ouvre la voilure. Déconnecté, mon imaginaire flirtant entre les plateaux Mongols et les landes Ecossaises…

L’étang de Jolan… Au cœur de l’une des plus remarquables tourbières d’Auvergne, classée Espace Naturel Sensible… Il n’est pourtant pas bien grand en comparaison de ce vaste Océan qu’il y a deux jours je côtoyais. Pourtant. Pourtant…

La beauté et l’étendue de ces paysages m’émerveille, dans mes tripes, dans ma chair et dans tout ce qu’il y a de plus profond en moi… Je me sens véritablement enfant des montagnes.
14h25. Allanche, ultime rappel à la civilisation. Son clocher austère, sa tour et au carrefour, cette pancarte discrète que mes yeux dévorent… Camping « Les Gentianes ». Allanche. Tu me donne rendez-vous. Alors Allanche, je te promets, que dans ton giron, un jour, je reviendrais…
Avant de reprendre la route de ces contrées désertées par l’Homme, je m’octroi une petite pause bien méritée au détour d’un virage. D’une main aveugle, j’extirpe du fond de mon sac ce qui fut jadis un pain au chocolat joliment moelleux et savoureux… Compacté par les soubresauts de cette route sans fin, la galette a gagné en consistance…
« Ici aussi, il y avait des foires, mais c’est fini. Mercredi prochain, il y en a une… Vingt bêtes au foirail. Mais c’est pour le folklore. Comparé aux cinq cents bêtes de l’époque… C’est fini tout ça ! Maintenant on vend les bêtes directement sur internet. On vend bien des humains sur internet… »
14h52, la route qui s’élève, sur ces hauteurs où jamais le vent ne cesse… Je suis à Chavanon et franchirai bientôt le col de Baladour, et ses 1207m… Sur cette ligne de crêtes, tourne et tourne le présentoir à cartes postales… Perplexe. Sur l’une d’elle, de jaunes prairies, un ciel moutonnant, une ferme de vaches rouges et de graciles rotors caressant le vent… Ma longue chevauchée solitaire est désormais concentré de sentiments fantastiques… Je vis ce paysage de moyennes montagnes, des plus saisissants, et sans nulle autres pareils.

Mon voyage touche à sa fin et je sens que le temps s’accélère. Les jours raccourcissent. La température baisse. Je dois aller plus vite sans sacrifier l’essence de mon voyage : rester ouvert à l’inconnu et – le plus difficile – profiter du moment présent sans trop anticiper la suite…
16h18. Je roule en direction Paulhac, un village situé avant Brioude où je m’engage à planter le drapeau des 200 kilomètres… De longs traits droits, menés grand plateau, m’ont fait perdre rapidement l’altitude que j’avais si longuement acquise. L’herbe est plus verte ici. Les mûres plus mûres. Et la ligne soulignant l’ensemble plus douce… Ne faire qu’un avec la route, en oublier l’effort, et, tout simplement, se laisser glisser…

Quitter le ciel, redescendre sur terre, joindre Brioude et la Senouire.
16h30. Je dépasse la vieille Tour de Paulhac…
16h45. Voici Brioude où je m’arrête un instant pour ravitailler… Un savoureux sandwich montagnard, jambon cru, roquette et fromage de pays, qui m’aura suivi depuis Argentat-sur-Dordogne… Et puis il y a cette hésitation… Question d’horaire et d’itinéraire. Car si j’envisageais hier de rallier le Puy depuis Brioude dans le but d’y attraper le TER pour Saint Etienne, mes errements du matin ont remis en cause cette option… Le train cité partira à 18h44, deux petites heures à peine… Je suis émoussé. Et doute désormais profondément de mes capacités à y arriver… Si je rate ce train, il me faudra encore suivre les Gorges de la Loire. Une route certes bucolique, mais qui allonge grandement. Avec une arrivée probable à Saint-Etienne vers 2/3 heures du matin… C’est rude. Mais il y aurait cette autre solution… Abandonner l’idée du train, et couper court. Par les plateaux de Sembadel et d’Usson-en-Forez. Routes empruntées récemment en compagnie des fines lames du Tour des Arbres de Haute-Loire… Une possibilité qui devrait néanmoins m’amener au-delà des 5000m de dénivelé positif… Effort jamais anodin… mais toujours mémorable. J’hésite, tergiverse. Cette option pure bike me laisse espérer une arrivée vers 23heures, minuit dans le pire des cas… Ce serait bien. D’autant que la météo annonce des épisodes orageux pour la soirée. Je décide. Choisir les plateaux du Forez sera un choix de raison, le dernier de cette aventure.
17h47. Au milieu des résineux, j’aborde le dernier tronçon de ce périple. Epuisé jusqu’au fond de mes tripes mais également serein au plus haut point… Les longs voyages vous placent dans cet état second qu’il vaut mieux vivre plutôt qu’expliquer. Un état de grâce, fragile et éphémère… Progression lente dans la longue montée qui me transporte vers Saint Pal-de-Senouire puis Sembadel. S’accorder tout le temps qu’il sera nécessaire… Patient. Sur cette route en sous-bois et légèrement humide… Dans le pré d’à côté, soudain, cette jument tachetée qui bruyamment s’étale. Et moi qui, aussi assommé qu’elle, me marre…
18h03. Le ciel s’est paré de sombres volutes et de violets profonds … Perdu dans ce morceau tendre de campagne, de son accoudoir de solitude au bord duquel les orages viennent se dénouer, me voici plus que jamais prêt à danser.

Au solstice de cette année, Craponne fut choisie comme orée des A.R.B.R.E.S. remarquables…
19h43. La gare de Craponne-sur-Arzon… Siège de ma dernière gaufre…
20h02. Je laisse derrière mois Pontempeyrat, et l’Ance enjambée par ce vieux pont de pierres. Quelques lacets pour s’extraire de la vallée… Et saisir, au vol, ce qui restera le dernier cliché d’un voyage magnifique au Phare des Baleines… l’Astre orangé qui s’efface, fuyant, au loin par-delà les montagnes…

Le soleil se couche sur ce qui sera bientôt la fin du voyage…
Sur les hauteurs des Monts du Forez, la nuit est tombée plus rapidement que je ne l’espérais… Au gré de cette course poursuite perdue, rattrapé par mon ombre, j’avance solitaire dans l’obscurité apaisante… Le pale halo de mon éclairage laissant miroiter les noms des villages que j’ai appris à connaître tandis que j’étais encore petit… Usson-en-Forez. L’averse gronde ce qui a le don d’agacer les corbeaux qui du grand arbre s’envolent avec fracas… Saint Bonnet-le-Château dont je perçois la masse imposante de l’église fortifiée… A droite à l’intersection, en direction de la gare où les chiens aveugles dans l’obscurité jappent à n’en plus finir. Bang, le trou que je n’avais pas vu se propage entre mes vertèbres et manque de m’envoyer au fossé. Agrippé au guidon, je fusille mes freins sur cet enrobé truffé de pièges…
Saint Just-Saint Rambert, et ouf de soulagement. Le vélo doucement adossé à l’une des rares bornes de recharge rapide présente dans la métropole stéphanoise… Un message maladroitement pour dire que je suis arrivé… Une pâte de fruit pour se donner du courage… Entre-temps. Il s’est remis à pleuvoir…
J’arrive. Détrempé et extasié devant les mille trois cents cinquante kilomètres (pour 13000m de D+) que je viens assez égoïstement de m’offrir… Heureux et satisfait comme je n’aurais pu l’imaginer au moment où les grandes lignes du projet furent esquissées… Oui, des grandes lignes car ce projet que je pourrais qualifier d’intempestif fut tracé la veille pour le lendemain. Avec seulement quelques checkpoints mais surtout un objectif. Celui de rallier le phare des baleines, depuis Saint Etienne. Entre les deux, exercée et boire jusqu’à la lie cette merveilleuse liberté de pédaler pour découvrir… Porté par un sentiment puissant de « petit miracle » … Celui de se dire, je l’ai fait, pour rien, juste pour soi. A tire d’aile, viser encore une fois l’Océan… Et en revenir… Pas nécessairement plus fort… mais très certainement plus mûr… 😉